Pentagon Papers : un succès, de la réalité à Spielberg

On a tous quelque chose en nous de Spielberg. La quatrième dimension, Les dents de la mer, E.T. : l’extraterrestre, Indiana Jones, Jurassic Park, Il faut sauver le soldat Ryan, Arrête-moi si tu peux, Tintin, Cheval de Guerre, le Bon Gros Géant… La liste est longue, pourtant il est difficile de dire « je n’ai jamais vu un film de Steven Spielberg ». Alors pour vous, en avant-première, j’ai testé le dernier en date : Pentagon Papers, en salles depuis le 24 janvier. En tête d’affiche : Meryl Streep et Tom Hanks. Du jamais vu dans le cinéma hollywoodien et pourtant, les réunir est un pari réussi pour Steven Spielberg. 4 oscars pour l’une, 2 oscars pour l’autre, c’est du très gros pour ce dernier film qui nous plonge dans le monde du journalisme américain des années 1970.

L’histoire

Au début des années 1960, Robert McNamara devient secrétaire à la défense sous John Kennedy, puis sous Lyndon Johnson. Son but progressif ? Désengager l’armée américaine de la guerre du Viêtnam. Pourtant, cette position est contraire à celle de Johnson qui voit en ce retrait une humiliation internationale. McNamara commande alors un rapport sur l’armée américaine et sa présence au Viêtnam afin de permettre à de futurs chercheurs de se pencher sur le sujet pour éviter de reproduire les erreurs du passé. Il démissionne en 1968. En 1971, Daniel Ellsberg, analyste américain, fournit au New York Times, puis au Washington Post les « Pentagon Papers » : les 7 000 pages de documentation secret défense, commandée par McNamara, appartenant au Pentagone et concernant le processus décisionnel du gouvernement pendant la guerre du Vietnam.

Le New York Times, premier à obtenir les documents, est le premier à les publier. Ils sont rapidement enjoints par le gouvernant de cesser la publication, et poursuivis par la Maison-Blanche. C’est sans compter sur Katherine Graham, directrice du Washington Post et Benjamin Bradlee, son rédacteur en chef, pris d’un dilemme entre la possibilité de se plier aux diktats de publication de la Maison-Blanche, ou de s’insurger au nom de la liberté de la presse en publiant le rapport à leur tour. Le but ? Dévoiler la responsabilité et l’implication politique et militaire des États-Unis dans la Guerre du Vietnam de 1945 à 1967.

Les points importants de Pentagon Papers

Au-delà d’un film de relations mondaines, on retrouve divers enjeux : celui de la liberté de la presse, la notion d’intérêt national, la prise de décision dans les rédactions et la place d’une femme dans une société plus que tout patriarcale. On retrouve à l’écran une Meryl Streep brillante, pleine de ressources, pourtant écrasée par le poids des hommes autour d’elle. Après tout, comment une femme pourrait prendre une décision ? Elle évoque une citation de Samuel Johnson : « Une femme qui porte la culotte, c’est comme un chien qui marche sur ses pattes arrières, c’est très maladroit, et on a beau savoir que ça existe, ça reste incongru ». Une manière de rappeler la vision de la femme à l’époque, et de surfer sur la vague féministe actuelle. Katherine doit alors prendre une décision qui pourrait lui coûter son journal, et l’envoyer en prison.

Une aubaine pour la presse américaine

C’est également un tournant important dans la liberté de la presse, au nom du 1er amendement de la Constitution des États-Unis, celui qui consacre « the freedom of speech », la liberté d’expression, classée au plus haut rang. S’engage un conflit jusque devant la Cour Suprême. Au nom des pères fondateurs, la mission de la presse devient de servir les gouvernés, et non les gouvernants, dans un rôle essentiel à la démocratie. Jamais avant un journal n’avait été censuré et le 1er amendement à ce point mis en danger. La décision « 6-3 » de la Cour suprême consacre la liberté de la presse au nom de l’intérêt national.

Plus en retrait, on retrouve la réalité de la vie d’une rédaction à l’image d’une fourmilière grouillante toute la journée, surfant avec l’illégalité, à la recherche du scoop et de l’information des concurrents ; et d’une impression bruyante et incessante toute la nuit pour être parée à la livraison du transporteur. Nous sont offertes les images de création des premiers journaux, la mise en place des fers d’impression et les machineries grimpant jusqu’au plafond.

Outre cet aspect technique, entre en jeu la réalité économique du journal local qu’est encore le Washington Post. Katherine Graham se lance en bourse afin de financer son journal et ses journalistes. Elle pourrait perdre ses actionnaires en prenant le parti du New York Times, face au gouvernement Nixon. Le contrat stipule que les actionnaires ont une semaine pour se retirer. La condition est la survenue d’un événement grave au cours de celle-ci. En conclusion, la prise de parti de la directrice pourrait s’avérer plus risqué qu’autre chose.

Une victoire humaine

Le côté humain y est fort, n’en déplaise aux fans d’E.T.. Chacun connaît un engagé dans la guerre du Viêtnam. Le fils de Kate Graham en est revenu, le frère d’une stagiaire de la Cour Suprême y est encore. Spielberg dénonce par à travers cette omniprésence des soldats la réalité du côté inhumain du gouvernement. Un gouvernement qui maintient son armée dans un conflit aux origines controversées pour éviter une humiliation internationale. Le gouvernement Nixon mettra fin au conflit 2 ans plus tard, en 1973.

Enfin, Spielberg ne s’est pas séparé de son compositeur attitré pour la bande originale. John Williams s’est une fois de plus surpassé. Le compositeur de la musique originale du dernier Star Wars, épisode VIII : Les Derniers Jedi a mis en musique 40 minutes de Pentagon Papers dans un ton à la fois léger, entraînant et prenant.

Bilan de la séance

Pour conclure, je ne peux que vous le recommander ! Le jeu d’acteur est fidèle aux noms présentés au casting. La réalisation est digne du réalisateur aux 12 distinctions cinématographiques. Depuis quelques années, Steven Spielberg se fond dans le cinéma historique. Quand certains le trouvent de plus en plus « ennuyant », il prend le parti d’informer sur des événements importants qui ont révolutionné, peu à peu, le monde. L’aspect est très axé sur le journalisme. Plus encore, certains y voient un message fort, si ce n’est anti-Trump, tout du moins peu enjoué quant à sa présidence : la rébellion contre le gouvernement et son président est au rendez-vous. Après 6 nominations aux Golden Globes 2018, le 7 janvier l’équipe de Pentagon Papers est repartie les mains vides. Reste à voir si Meryl Streep et Steven Spielberg rafleront les oscars de meilleure actrice et du meilleur film le 4 mars prochain.

En attendant, rendez-vous en salles pour une piqûre de rappel historique, piquée d’humour et de frissons.